Comment concilier design industriel et faisabilité industrielle ?

Le "beau" doit-il passer avant le "bien pensé" ou l'usage d'un objet doit-il primer sur son aspect visuel ? Cette réflexion, qui ressemble à une épreuve du bac de philosophie, nous a amené à demander à M. Emmanuel Cairo, designer industriel, et M. Sylvain Bergagnini, chef de projet chez SIAM, de partager leurs points de vue, d'échanger leur vision sur le design industriel au service de la fabrication industrielle. Et réciproquement.

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre métier ?

Emmanuel Cairo
Après une double formation en Design et en Architecture, j'intègre en 1991 l'agence Absolut Design, dont je suis l'un des co-fondateurs et directeur associé En 2000, je crée mon studio de design industriel et j'interviens auprès d'entreprises privées et collectivités locales. Ma spécificité est d'être multidisciplinaire : j'embrasse un large champ sectoriel et d'échelles de projets, qui va du design dans le transport à celui de mobiliers urbains. Je conçois également le design de produits pour La Poste, GRDF ou encore Aqua-Tools... Des prestations qui confirment l'agence dans sa capacité à concilier les exigences commerciales, marketing et industrielles des entreprises et à leur présenter des solutions qui atteignent leurs objectifs. Mon métier est de concevoir la forme et la fonctionnalité d'un objet ou d'un produit à partir du cahier des charges d'une entreprise ou collectivité publique.

Sylvain Bergagnini
À ma sortie de l’école des Mines de Nancy, diplôme d’ingénieur en poche, j’ai intégré une entreprise spécialisée dans le matériel de chantier/jardin en qualité de responsable d’un Bureau d’Études. En 2019, J’ai rejoint SIAM comme chef de projet où je travaille principalement pour de grands donneurs d’ordres, comme la RATP. Chez SIAM, le point de départ est l’analyse du cahier des charges “technique” et du cahier “design”. Nous devons prendre en compte et harmoniser les exigences techniques et visuelles du produit ! Mon rôle est de les concilier pour en faire un produit ou objet réalisable et “industrialisable”, dans le respect normatif du produit ( résistance mécanique, cinématique correcte, bonne tenue dans son environnement, respect des coûts et des délais…). J’orchestre la mise en œuvre des prototypes, premiers de série et je m’assure que les plans (les écrits, dessins…) sont conformes aux attentes espérées par le client. Je m’occupe aussi de la recherche de solutions techniques, de fournisseurs… puis de la partie documentaire (remise au client, droits d’auteurs, droits de succession…) et administrative.

Monsieur Cairo, comment définiriez-vous votre conception du design industriel ?

Je porte l’idée d’un design ouvert et partagé avec les équipes des clients : une approche qui favorise l’émergence de solutions créatives éprouvées au service du projet. J’estime que le dialogue et la compréhension des problématiques sont essentiels. Voilà pourquoi, en amont, je rencontre les équipes “projet” des entreprises avec lesquelles je vais collaborer. Elles me détaillent leurs métiers, leur secteur d’activité, leurs outils de production, leurs produits, leurs clients, leurs axes de développement, leur stratégie d'innovation, leur organisation fonctionnelle… C’est une première étape d’immersion nécessaire afin de partager les mêmes objectifs. Ensuite, je procède à une analyse du projet en profondeur afin de générer des réponses particulières. C’est une approche sur mesure qui génère et ordonne un vocabulaire de formes de matériaux et de couleurs, liés aux usages et à l’identité de la problématique à résoudre.

Lors de la phase de création, je recherche les lignes directrices et les codes formels des objets à “designer”. Je cherche à en faire des ensembles présentant une esthétique contemporaine, statutaire, sobre mais remarquable, en adéquation avec les espaces auxquels ils sont destinés et surtout avec les publics qui les utiliseront. Tout objet véhicule l’image de l’entreprise ou d’une collectivité et revêt de ce fait une importance primordiale dans la bonne perception des valeurs et des messages à communiquer. Je tiens compte dans les réponses que j’apporte, des coûts de mise en œuvre et d’industrialisation afin d’apporter une réponse juste dans le cadre des budgets de fabrication qui me sont soumis, pour proposer des objets parfaitement industrialisables et commercialisables.

Cependant, mon travail ne s’arrête pas à la création proprement dite. J’accompagne l’entreprise durant les phases d’industrialisation. J’assure un suivi du projet durant les études mécaniques et de réalisation de prototypes jusqu’à la réalisation des premiers de série. J’encadre l’industrialisation sur l’ensemble des sujets liés à l’évolution du design afin de bien traduire la façon dont le design s’adapte au process industriel.

Et vous Monsieur Bergagnini, quelle est votre vision, conception du design industriel ?

Je partage la même vision que M. Cairo. Je rajouterai que le design industriel est, quel que soit le secteur d’activité, une des portes d’entrée chez un client ou prospect. Il permet de faire le lien entre les attentes marketing d’un projet et sa réalisation en atelier. Je vois le design industriel comme étant un moteur de l’industrie, puisqu’il demande de repousser les limites d’un savoir-faire, de trouver de nouvelles solutions

Monsieur Cairo, dans quel contexte ou situation avez-vous connu SIAM ?

SIAM m'a contacté à l'occasion d'une consultation pour la conception et réalisation d'un gamme de Planimètre 2m², des supports d'affichage urbain. Depuis, nous collaborons régulièrement sur des projets de dimensions variables, des bornes connectées jusqu'à des éléments de mobiliers urbains.

Monsieur Bergagnini, pourquoi SIAM fait-elle appel à un designer industriel ?

Le marché ou plutôt les marchés sont en perpétuelle évolution. Nous devons, nous industriels, être capables de suivre et de nous adapter aux nouveaux comportements, nouveaux usages, nouvelles attentes… Nous adjoindre les compétences et talents d’un designer industriel nous permet de proposer des produits et objets qui répondent aux codes actuels, tant sur l’esthétisme de l’objet que sur sa fonctionnalité et ses usages.

Comment voyez-vous la relation entre le designer industriel et l'industriel "réalisateur" ?

Emmanuel Cairo
La première étape de cette relation réside dans la perception, par l'industriel, de la véritable valeur ajoutée de mon métier et non dans l'association "designer, c'est un joyeux artiste" ! Ça peut encore arriver, mais heureusement, c'est de plus en plus rare. Au-delà de la réponse formelle, je vois mon rôle comme un "apporteur de solutions" auxquelles l'entreprise n'avait pas encore pensé. Des réponses disruptives qui enrichiront le savoir-faire de l'entreprise et qui, soyons clairs, lui feront gagner de l'argent.
Pour cela, il faut instaurer une relation de confiance et laisser suffisamment de liberté pour, sur au moins une proposition, faire "un pas de côté" par rapport au cahier des charges. Si un designer industriel ne doit pas craindre de provoquer, il doit maîtriser cette "provocation" !

Sylvain Bergagnini
Si nous interrogeons un designer industriel c’est pour qu’il soit force de propositions, qu’il apporte des idées novatrices, une vision en accord avec l’air du temps… Il est complémentaire à “l’industriel” qui lui est plus pragmatique, et dont la vision peut-être limitée par un savoir-faire déjà acquis. Un designer industriel, comme M. Cairo, permet à l’entreprise de se poser de nouvelles questions de conception et nous pousse à aller toujours plus loin.

Quelles sont, selon vous, les clés pour harmoniser la conception design et la faisabilité industrielle ?

Une des clés - sans doute la plus importante - est d’intégrer le designer industriel très en amont du projet, dès le cahier des charges afin d’éviter la rédaction d’un document fermé, qui limiterait la capacité d’innovation.
N’oublions pas que le designer est un “flâneur” des tendances et de l’air du temps, qui apporte au projet des solutions auxquelles les entreprises - surtout celles dénuées de Service Marketing & Innovation - n’auront pas pensé. Et tout le monde dans l’entreprise, du dirigeant au Département R&D et jusqu’au Marketing, doit être impliqué dans l’appropriation de ces solutions. Une autre clé réside dans l’inclusion du designer dans les phases d’industrialisation. Qui, mieux que celui ou celle dépositaire du design, peut réaliser les modifications d’usage et d'apparence que le Bureau d’Études doit prendre en compte ? il faut trouver un terrain d’entente entre le designer et l’industriel par la discussion, l’adaptation et la confiance.

Monsieur Cairo, quels sont les atouts et points de différenciation de SIAM qui lui permettent de coller au plus près de vos conceptions ?

Emmanuel Cairo
Sans hésitation, la compréhension immédiate de SIAM sur le rôle primordial du designer industriel en phase d'industrialisation. Ensuite, la réelle capacité au dialogue et à l’ouverture, de ses équipes, et pas uniquement celles du Bureau d’Études et de la R&D. Des qualités qui se traduisent par la confiance en la faisabilité industrielle de mes conceptions. Chez SIAM, personne ne commence par dire ce n’est pas possible techniquement, jamais je n’ai entendu “on ne sait pas faire”. Bien au contraire, les collaborateurs SIAM cherchent toujours à trouver les solutions industrielles qui collent au plus près du design. Je pense à l’arche du Point Connect pour la RATP, par exemple…

Sylvain Bergagnini
Ah oui, bon exemple ! À près de 1,90 m de hauteur, cette arche est le premier élément d’une borne de rechargement de téléphone que remarquent les usagers. Forme, couleurs, motif visuel… tout a de l’importance. Sur les dessins des plans, ces courbes s’enchaînaient, et du point de vue industriel, nous ne savions comment répondre. Suite au premier jet et après quelques échanges avec M. Cairo, nous sommes arrivés à un plan assez proche qui respectait ses premières intentions, et on a démontré qu'on était capable de la réaliser en atelier, de façon répétable. Et d’une station de métro à une autre, l’arche et la borne sont parfaitement identiques.

Monsieur Bergagnini, en termes de faisabilité, quelles seraient les limites de SIAM, et cherchez-vous des solutions pour répondre sur-mesure ?

Pour tout dire, je ne vois pas, là, de réelles limites… Même dans les cas où la solution n’était pas évidente, nous avons su trouver un moyen technique, une technologie permettant au design de prendre forme. Parfois une discussion, la confrontation des idées entre le designer et l’industriel sont nécessaires pour trouver un terrain d’entente, faire émerger des solutions.
Et même quand nous n’avons pas de réponse toute faite, nous nous appuyons sur nos contacts pour nous accompagner, pour trouver des solutions. Un de nos atouts est la flexibilité. Nous pouvons réagir dans des délais courts et à travers différentes technologies, intégrées dans les entreprises du Groupe DIS ou non.

Pour conclure, comment voyez-vous l'évolution de votre partenariat et / ou du design industriel chez SIAM ?

Emmanuel Cairo
S’il devait y avoir une évolution, je reprendrais le point que j’évoquais précédemment sur une implication du design plus en amont du projet, dès la rédaction du cahier des charges. Et c’est en bonne voie, me semble-t-il.
En termes de stratégie design, SIAM aurait l’expérience pour se positionner comme référence dans le mobilier urbain éco-responsable et innovant. Nous avons déjà travaillé en ce sens ensemble et les collectivités publiques ainsi que les usagers sont de plus en plus demandeurs de ce type de mobilier.

Sylvain Bergagnini
Nous sommes convaincus que le design industriel joue et jouera de plus en plus un rôle stratégique dans la réussite d’un projet et dans la bonne appropriation d’un objet ou produit par les utilisateurs. Chez SIAM, nous avons la faculté de nous remettre toujours en question, de chercher de nouvelles voies d’améliorations ou de nouveaux marchés… et là, le design industriel est un élément déclencheur car pensé pour répondre à une fonction et satisfaire un usage. Nous n’oublions pas que nous travaillons beaucoup, via le design urbain, sur des projets destinés à être exposés au regard du grand public (panneaux publicitaires, bornes connectées en libre-service comme I-dro’Connect, Point Connect de la RATP…). L’aspect physique, visuel, du produit ou de l’objet est donc le premier contact avec l’usager, bien avant sa fonctionnalité, son usage.
Quand on a compris ça, on comprend immédiatement l'intérêt crucial du design industriel.